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Le théâtre à Quimper à la Belle époque (1904-1920)

Durant le XIXème siècle les quimpérois n'ont pas bénéficié d'une véritable salle de théâtre. Le café de la Comédie s'est vite avéré trop exigu et la salle du musée des Beaux-arts réservée aux représentations s'est vite montrée très inconfortable tant pour les comédiens que pour les spectateurs.

Une salle de spectacle pour Quimper !

Pourtant l'idée de la construction d'un authentique théâtre n'était pas nouvelle. Déjà en 1824, le projet de l'architecte Goury pour la construction de halles au cœur de la ville soulignait l'absence d'un lieu d'expression artistique à Quimper.

Une soixantaine d'années plus tard, le 14 août 1883, lors du conseil municipal, le maire Joseph Astor émet l'idée que soit bâtit un théâtre à l'emplacement compris entre la mairie, la rue Verdelet, la rue de la mairie et la place Toul-al-Laër. Mais ce projet n'aboutit pas...

Le legs d'Urbain Couchouren à la ville de Quimper en 1893, va être alors l'occasion idéale pour enfin pouvoir doter la cité du roi Gradlon d'un théâtre digne de ce nom...

Un legs qui tombe à point nommé

Urbain Couchouren est né à Quimper le 27 avril 1864. Son père décède alors qu'il n'a que 5 ans, le laissant seul avec sa mère Marie-Anne. Tous deux sont les héritiers d'importants biens immobiliers au cœur ou aux limites de Quimper. Urbain Couchouren effectue de brillantes études au collège de La Tour d'Auvergne.

Deux années de suite, il reçoit le Prix d'Honneur en 1881 et en 1882. Puis, après d'excellentes études de droit à Rennes, il s'inscrit au barreau de Quimper en 1888 où il se distingue par d'éloquentes plaidoiries.

Mais le 11 avril 1892, Marie-Anne Couchouren décède. Un mois plus tard, Urbain rédige son testament. Très affecté par le décès de sa mère, son état de santé se détériore rapidement. Il décède le 22 août 1893 à l'âge de 29 ans.

« Je donne et lègue à la ville de Quimper, le terrain qui m'appartient et qui est compris entre la rue Neuve, l'Odet et la rue du pont Firmin, y compris les édifices qui s'y trouvent élevés, aux clauses et conditions suivantes : [...] Ce terrain devra être affecté à un hospice de vieillards lequel formera soit un établissement spécial, soit une annexe de l'hospice existant. Dans un endroit apparent de cet hospice, de préférence près de l'endroit qui servira de chapelle, devra âtre apposée une plaque avec la mention suivante : Cet hospice fût fondé par Urbain Couchouren, en mémoire de sa mère vénérée, Marie-Anne Gourmelen, veuve Couchouren. Si cette œuvre vous est agréable, passant, priez pour eux. » Le boulevard du théâtre en 1904Voir l'image en grand Le boulevard du théâtre en 1904.

Le legs de ce bien au cœur de la ville représente une véritable opportunité pour l'aménagement des bords de l'Odet. La construction d'un hospice de vieillards semble bien compromise pour se faire sur ce fameux terrain.

A la lecture du testament et à l'interprétation qu'en fait le conseil municipal de Quimper, il est décidé, au terme de plusieurs années de négociations, que la vente de l'immeuble de la rue Kéréon (qui rapporte 20 000 francs) légué en même temps que le terrain dit « Couchouren » soit affectée à la construction d'un hospice attenant à l'hospice civil de Quimper. La ville rachète quant à elle le terrain pour la somme de 80 000 francs qui est directement remise à l'hospice civil.

Par cette opération, le conseil a fait en sorte que le souhait d'Urbain Couchouren de voir s'élever un hospice pour vieillards se concrétise et du même coup récupère un emplacement idéal pour ses propres projets urbains.

Au terme de nombreuses querelles au sein de la municipalité, le terrain au bord de l'Odet est finalement affecté à la construction d'un théâtre.

De cette rocambolesque histoire au parfum de scandale est né le célèbre roman de Max Jacob intitulé Le terrain Bouchaballe.

L'inauguration du théâtre en 1904

C'est l'architecte Lafont de Nantes qui est choisi pour dresser les plans du nouveau théâtre de Quimper. En juillet 1901, le conseil approuve également les plans, devis et cahier des charges pour les travaux d'établissement d'un nouveau boulevard sur la rive gauche de l'Odet avec pont d'accès en béton armé. Il s'agit là des travaux d'aménagement à effectuer pour accéder à la nouvelle salle de spectacle. Les travaux débutent alors sans attendre.

Dès décembre 1903, la municipalité désigne quelques-uns de ses membres pour organiser l'inauguration de la nouvelle salle de spectacle.

Pour l'évènement, plusieurs programmes de spectacles sont proposés au conseil par le sieur Itrac, directeur du théâtre de Brest. C'est finalement, le spectacle composé de l'opéra de Gounod Mireille et la pièce en un acte de Théodore de Banville intitulée Le Baiser qui est choisi. Livret de vers Frédéric Le Guyader inauguration du théâtreVoir l'image en grand Livret des vers composés par Frédéric Le Guyader pour l'inauguration du théâtre.

Les deux pièces sont jouées par la troupe du théâtre de Brest. Les décors sont ceux proposés par la ville de Quimper ; la seule exigence du metteur en scène est qu'un arbre soit placé au milieu de la scène ainsi qu'un banc de gazon.

Frédéric Le Guyader, poète local, apporte sa pierre à l'édifice en composant quelques vers pour cette inauguration où il retrace l'histoire du théâtre à Quimper : « ...La Comédie, après trois-quarts de siècle, usée, n'était plus qu'un débris, quand s'ouvrit le musée [...] Le musée est, d'ailleurs, un rectangle un peu froid, Et le drame, à coup sûr, s'y trouvait à l'étroit.[...] Le théâtre, à nos yeux, et tel qu'on l'aime ici, Est une grande Ecole, et c'est un Temple aussi. ».

Une inauguration en deux temps

Une première inauguration, sur invitation du maire Théodore Le Hars, a lieu le 11 février au soir en tout petit comité, pas plus de trois douzaines de personnages marquants de Quimper selon le journal L'Action Libérale qui retrace cette soirée avec causticité dans ses colonnes : Détail sur le programme d'inauguration du théâtre en 1904Voir l'image en grand Détail sur le programme d'inauguration du théâtre en 1904.

« ... des gens très cossus qui s'étaient empressés d'accourir, bravant la tempête et la pluie et s'abritant de leur mieux sous les arbres dénudés du boulevard, car, pour ne pas éblouir le peuple de leur faste ils avaient laissé dans les remises leurs équipage somptueux [...] On a apporté ensuite de larges assiettes de petits beurres - les petits fours auraient pu être pris pour mauvaise part - et des bouteilles au goulot argenté [...] Cependant la population s'est émue de cette prétention tout à fait injustifiée de faire servir à ses distractions personnelles et à celle de quelques intimes, choisis presque exclusivement en dehors des contribuables et des habitants sédentaires de Quimper, un immeuble construit à chers deniers avec les fonds de la dite ville... ».

La grande soirée de gala a lieu, quant à elle, le 19 février. Toutes les places se sont vendues : notabilités, quimpérois et journalistes, tous ont répondu présent pour assister à la Première dans le nouveau théâtre. Le spectacle proposé par la troupe de Brest remporte un franc succès auprès de spectateurs déjà conquis par le lieu.

Bien que quelques voix s'élèvent pour critiquer l'architecture du théâtre jugée « ...disgracieuse et lourde... », les Quimpérois vont pouvoir désormais goûter aux joies du spectacle dans une salle flambant neuve.

Une programmation éclectique

Les troupes de comédiens sont désormais accueillies plus facilement à Quimper. Mais le théâtre sert également au spectacle de bienfaisance, aux sociétés musicales quimpéroises qui y donnent des concerts et parfois même aux séances du cinématographe. Pièce Le mariage de Melle Beulemans donnée à Quimper en 1913Voir l'image en grand Pièce Le mariage de Melle Beulemans donnée à Quimper en 1913.

Quimper accueille principalement les tournées de Charles Baret. Mais il ya également les troupes d'Albert Chartier, Milo de Meyer et aussi La comédie-parisienne et beaucoup d'autres qui viennent jouer devant les Quimpérois.

La plupart des compagnies de théâtre est aidée par la municipalité qui met à leur disposition le théâtre de la ville, gratuitement ou à des prix très abordables. Chaque directeur de troupe envoie à la mairie les arrhes pour la réservation de la salle, le programme du spectacle et un scénario comprenant les décors pour chaque acte comme c'est le cas de la tournée lyrique de Talabot qui joue à Quimper en 1911 et 1913.

La tournée Charles Baret tient une grande place dans la programmation puisque celle-ci donne plusieurs représentations à Quimper tout au long de l'année. C'est aussi cette troupe qui détient l'exclusivité sur les représentations de comédie lors des concours hippiques de Quimper organisés au printemps. Programme de la piece Plus que reine jouée en 1911Voir l'image en grand Programme de la piece Plus que reine jouée en 1911.

Des troupes prestigieuses viennent également dans la capitale de la Cornouaille comme celle de Sarah Bernhard en 1913. Elle y donne une représentation de L'Aiglon, pièce d'Edmond Rostand, qui remporte un francsuccès à travers la France.

La plupart des pièces jouées à Quimper sont des comédies telles que La veuve joyeuse qui est donné plusieurs fois en représentations entre 1911 et 1913. Mais également des vaudevilles comme La marchande de fleurs jouée par la troupe Albert Chartier ou encore des pièces à intrigues comme L'Entôleuse jouée par La comédie-Parisienne.

Les pièces du répertoire classique ont aussi leur place dans la programmation du théâtre comme Le mariage de Figaro, pièce en cinq actes de Beaumarchais, jouée par la troupe Leduc en 1909, Les femmes savantes, comédie de Molière et Les misérables de Victor Hugo toutes deux données en représentation en 1913 ou encore la plus célèbre pièce d'Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac qui est jouée à Quimper en 1914 puis de nouveau en 1917.

Un théâtre pour tous

Hormis les compagnies habituelles, le théâtre sert également pour les concerts de la société musicale la Lyre Quimpéroise et les représentations de la société de gymnastique La Quimpéroise qui donne une soirée récréative le 13 mai 1911 où se mêlent chants et exercices physiques. Concert d'Alex Thomas en 1912Voir l'image en grand Concert d'Alex Thomas en 1912.

Des artistes indépendants viennent également au théâtre donner des représentations, c'est le cas d'Alex Thomas originaire de Kerfeunteun. Ce chanteur se produit pour la première fois sur la scène du théâtre le 28 janvier 1912 en compagnie de la cantatrice Auguez de Montalant.

Le théâtre est également mis à la disposition de sociétés de secours mutuels pour des fêtes de charité : la société La solidarité militaire donne tous les ans une fête de charité au théâtre : en 1912, au profit de l'œuvre et de l'aviation civile et en 1913, au profit des veuves et orphelins de la société.

Des soirées spéciales comme Les cinq heures littéraires de Paris sont également organisées pour les élèves des écoles primaires élémentaires et les soldats en garnison par le biais de l'œuvre du Théâtre à la caserne.

En 1914, le proviseur du lycée La Tour d'Auvergne demande la mise à disposition du théâtre municipal pour la fête de charité organisée par l'institution qui a lieu les 2 et 3 mai.

Bien que les projections de cinéma se fassent traditionnellement sur le champ de bataille, la municipalité accueille aussi les séances des cinématographes ambulants « parlant et en relief » dans la salle de spectacle. Cette pratique tombe en désuétude quand s'ouvrent les salles Rieux et Autrou où sont diffusés le dimanche aux Quimpérois films et actualités à partir de 1913.

Mais pour les diffusions de films à grand spectacle, tels que ceux que propose Louis Le Bourhis à Quimper, le théâtre reste le lieu à Quimper le plus approprié jusqu'à que s'ouvre l'Odet-Palace en 1922.

La première guerre et après

Nous ne possédons pas d'archives sur le théâtre pour les années 1915 et 1916. Il ne semble pourtant pas que l'activité théâtrale se soit arrêtée avec la guerre. L'on peut supposer que les œuvres de guerre ont donné des galas et que les troupes ambulantes ont également continué à donner des représentations.

Sur le planning des représentations de 1917, on constate une activité théâtrale importante. En moyenne, il y a 3 représentations par mois contre 1 à 2 par mois en 1914. Les demandes pour venir à Quimper ne cessent d'augmenter après 1918.

La programmation ne change guère puisqu'elle alterne pièces classiques et comédies. Pièce donnée à Quimper par la troupe Baret en 1919Voir l'image en grand Pièce donnée à Quimper par la troupe Baret en 1919.

On note tout de même que la guerre a inspiré les auteurs ainsi certains directeurs de tournées proposent des pièces nouvelles comme Nos poilus à Verdun, pièce en trois actes de messieurs Joullot et Cazol ou bien Les femmes à la caserne jouée en juin 1918 par la troupe d'Albert Chartier. Charles Baret propose également Un soir au front que le directeur de la tournée qualifie « de très belle pièce de propagande ».

Les œuvres de bienfaisance y ont plus que jamais leur place et plusieurs conférences y sont données au profit de l'œuvre des villages libérés.
En février 1919, la Ligue Française propose également une discussion sur la question «Ce qu'il nous faut pour l'après-guerre».

Le 11 septembre 1920, la ville organise un grand gala au profit de sa filleule de guerre Juniville (Ardennes). Un grand concert artistique est donné au théâtre en présence du préfet du Finistère, du sénateur maire de Quimper et du maire de Juniville. Un buffet est servi et une quête est organisée au cours de la soirée pour aider Juniville à se relever de ses blessures de guerre.

Le cinéma y est également présent puisque le Cinéma-théâtre de Concarneau vient y donner une série de représentations du 14 au 19 mars 1918 du film « Christus ». Louis Le Bourhis loue aussi plusieurs fois par an le théâtre pour des séances de cinéma.

Symbole de distraction mais aussi lieu de réflexion et de charité, le théâtre est un loisir très prisé des Quimpérois en ce début de XXème siècle.

© Archives municipales de Quimper