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François Hénaff, Soldat du 64e Ri, Victime oubliée de la Grande Guerre

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La ville de Quimper a souhaité mettre en lumière l’histoire du soldat François Marie Hénaff, victime d’un code de justice militaire implacable, fusillé pour l’exemple au cours de la bataille de Verdun. Une stèle vient de lui être dédiée sur le placître de l’église de Kerfeunteun.

On chercherait en vain le nom du soldat François-Marie Hénaff parmi les 128 noms gravés à Kerfeunteun sur le monument aux Morts pour la France de 14-18. Et pour cause, la fiche matricule aux armées de ce Poilu porte pour cause de son décès la sinistre mention « passé par les armes ».

Né à Kerfeunteun en 1886 dans une famille très modeste – le père ouvrier est terrassier au bourg, François Hénaff exerce le métier de charpentier lorsqu’il est incorporé en octobre 1907 au 5e régiment du Génie. Il termine son service en juin 1911 et pense en avoir terminé avec l’armée mais l’Histoire le rattrape et il est mobilisé le 3 août 1914. D’abord affecté au 65e régiment d’infanterie, il passe au 64e d’Ancenis en janvier 1916 alors que la bataille de Verdun fait encore rage.  

Une forte tête rétive à la discipline militaire

Breton à la tête dure, personnage au verbe haut, y compris devant ses officiers, le soldat Hénaff est mal noté par sa hiérarchie dès sa conscription. Son courage n’est pas mis en doute mais son tempérament tapageur et ses multiples écarts à la discipline militaire ont valu à notre homme de très nombreuses punitions et condamnations le désignant à l’autorité militaire comme le mouton noir de la compagnie

Monter vers la fournaise de Verdun : La mort et l’épouvante au quotidien 

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Depuis février 1916, la terrible offensive allemande sur la forteresse de Verdun saigne l’armée française. Les divisions françaises montent à tour de rôle au carnage, une semaine au front, une seconde en seconde ligne, une troisième au repos à l’arrière du front. L’angoisse des Poilus est réelle car les hommes le savent, les chances de revenir de cette fournaise sont minces. Le champ de bataille est un enfer indescriptible. Les aurores des Poilus se lèvent sur les charniers où les morts abritent les vivants, séjour de pestilence, submergés des fumées où le roulement et le fracas des obus est permanent. Pas un mètre de ce sol qui ne soit devenu une sépulture ouverte dix fois par les bombardements qui retournent la terre et dévorent les positions françaises. Ajoutez-y encore le froid, le gel, la boue, la neige, la pluie, l’épuisement moral et physique que doivent endurer le soldat et le tableau de cet enfer dantesque sera encore à peine esquissé.  Alors que le fort de Vaux, l’un des points d’appui qui protègent la ville de Verdun, est prêt de tomber entre les mains des troupes du Keiser, le régiment de François Hénaff reçoit l’ordre de quitter le 26 mai son cantonnement de Fagnières pour monter vers le front. Le 64e s’établit au soir à Sivry à environ 35 km de Verdun.  Entre temps, plusieurs hommes depuis l’arrière de la colonne en marche, ont manifesté leur refus de monter au front en tirant avec leur fusil des coups de feu en l’air. Un jeune officier tentant de restaurer la discipline est insulté par le soldat Hénaff. Ces incidents qui n’ont fait aucun blessé pourraient sembler de peu d’importance. Le commandement, lui, y voit immédiatement le début possible d’une mutinerie qu’il s’agit d‘étouffer. 

Les « mutins » du 64e : des fusillés pour l’exemple ?

Une enquête est rapidement menée sous l’autorité du colonel commandant le régiment. Six militaires sont suspectés d’avoir organisé ou participé à ces événements. Dans la nuit du 29 au 30 mai, le soldat Hénaff et cinq autres camarades sont arrêtés par la gendarmerie et placés en détention à la prison de Sainte-Menehould. Un commissaire rapporteur instruit l’enquête. L’examen du dossier militaire des soldats leur est d’entrée défavorable. François Hénaff, en particulier, au cours de son service puis depuis sa mobilisation, a collectionné une vertigineuse suite de 303 journées de punitions et de condamnations diverses. Le soldat Hénaff, lors de son interrogatoire, nie avoir utilisé son fusil ou être le meneur d’une révolte concertée mais il reconnait avoir été saoul et avoir proféré des outrages envers son officier. A la suite des rapides investigations du commissaire rapporteur quatre soldats sont inculpés dont François Hénaff. Un conseil de guerre est convoqué le 3 juin par le général de division. A l’unanimité, la cour martiale du 4 juin 1916 condamne à mort François Hénaff et ses camarades Bernard, Juin et Bertin. Les juges refusent aux condamnés le droit de solliciter une demande de grâce. Le conseil les condamne pour révolte sous les armes en réunion à la peine capitale.

Le soldat Hénaff a laissé ces quelques mots, griffonnés sur une carte de correspondance militaire et destinés aux compagnons d’armes de son escouade. 

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« Adieu mes amis, pour moi c’est fini, ne suivez pas mes traces, malgré que je n’ai presque rien fait je monte la butte [lieu d’exécution] ; fallait des exemples, c’est moi et les copains qui payent. Bonjour et adieu à tous les amis pour moi et les copains.

Henaff Fçois

[Puis il complète sa carte]

Tachez, si vous pouvez venir nous voir avant de recevoir les 12 pruneaux, vous verrez comment meurent un brave et qui ne cesse de l’être

Henaff Fçois »

 

A l’aube du lundi 5 juin, les prisonniers sont extraits de leur cellule et passés par les armes devant 2500 hommes de troupe. Quatre pelotons d’exécutions prélevés sur des régiments bretons et normands, soit 48 fusils, font face aux quatre malheureux attachés à des piquets. A 6h30, en une seule salve mortelle, François Hénaff et ses trois camarades d’infortune perdent la vie. Le médecin militaire atteste que chaque condamné a été atteint par au moins une dizaine de projectiles qui leur ont transpercé la poitrine de part en part, sans compter le coup de grâce. Les corps sont enterrés à la nécropole militaire de Sainte-Menehould.

Les conseils de guerre : des juridictions militaires expéditives.

Instaurés pour encadrer juridiquement la justice militaire et limiter les cas d’exécutions sommaires, les conseils de guerre, au front comme à l’arrière, jugent de manière rapide, voire expéditive, en cas de flagrant délit, dans un but disciplinaire et d’exemplarité. La défense, sans moyens donnés au défenseur des accusés, est limitée à sa plus simple expression. Dans le cas du soldat Hénaff et des autres militaires du 64e aucun témoin direct des coups de feu n’a ainsi été produit par l’accusation. La condamnation a essentiellement été étayée par des accusations et des soupçons d’officiers, ayant parfois été insultés par leurs subordonnés, par la mauvaise réputation et le passé disciplinaire des accusés. Mais en période de guerre, les délits jugés dans cette affaire emportent la peine de mort au regard des articles du Code de justice militaire alors en vigueur puisqu’ils concernent, en présence de l’ennemi, l’abandon de poste (art. 213), le refus d’obéissance (art. 218), assimilé à la mutinerie quand il est commis à plusieurs (art. 217). Enfin il convient toujours de contextualiser ces exécutions car elles interviennent à un moment où l’armée française reste en grande difficulté sur le théâtre d’opération. La boucherie de Verdun et celles des sanglantes offensives suivantes ne sont que le terreau sur lequel naîtront les mutineries de 1917.

Environ 60 militaires bretons ont été fusillés au cours de la Grande Guerre. La presque totalité de ces suppliciés n’a pas été réhabilitée malgré le temps passé. Plus d’un siècle après leur décès, ils n’ont toujours pas le droit de figurer sur les monuments de la Grande Guerre ni au titre de Mort pour la France.

© Archives municipales de Quimper